Extracteur automatique de réalisme magique (EARM)


« La lecture est souvent considérée comme allant de soi aux yeux de nombreux traducteurs. La compétence de lecture elle-même, indispensable à l’acquisition de la compétence de traduction, est rarement débattue en traductologie ». 
Freddie Plassard, Lire pour traduire, 2007.

 

Lire, sans faire l’analyse du discours, c’est un peu comme regarder un spectacle de magie sans toutefois faire l’effort de découvrir les tours du magicien. Et c’est correct, pour la magie. Ou pour la lecture de loisir. Or, pour la traduction, il faut bien ouvrir les yeux. Il faut, si l’on peut, regarder chaque tour au ralenti.

L’analyse du discours appliquée à la traduction peut concrètement aider à objectiver le processus de traduction, ainsi que l’évaluation du produit de cette opération. Comme j’expliquais dans mon billet précédent, il faut apprendre à regarder au-delà de la surface du texte, autrement dit, à s’éloigner des présuppositions comme quoi « tout est dans le texte », y compris le « sens », le « vouloir dire de l’auteur ».

Une telle compétence de lecture s’avère essentielle pour traduire des textes littéraires comme pragmatiques. Mais c’est souvent l’analyse discursive comparative des œuvres littéraires vis-à-vis de leurs traductions, parues tout au long de l’histoire, qui permet de mieux illustrer l’absence d’une théorisation approfondie de la lecture dans la pédagogie de la traduction.

Et j’insiste, les machines ne parviennent toujours pas à voir les textes comme des discours, comme des réseaux sémantiques, plutôt que comme une linéarité de caractères, de mots ou de phrases isolées.

L’automatisation de la lecture analytique : de la science-fiction?

Pour automatiser ou semi-automatiser la traduction de la nouvelle Continuidad de los parques de Julio Cortázar, il faudrait que le texte soit traité premièrement par un « Extracteur automatique de réalisme magique » (EARM). Ce programme informatique aurait d’abord la capacité de déterminer que le texte a été écrit à une époque et dans une société où les écrivains de la littérature d’avant-garde latino-américaine avaient commencé à mettre au défi les conventions de la littérature et effectuaient un travail à caractère expérimental et, étant donné le climat politique à cette époque-là, à caractère politique également.

Ainsi, l’EARM aurait la capacité à analyser les ruptures de la chronologie narrative et de l’utilisation contemporaine et conventionnelle des temps verbaux. Aussi, il pourrait déceler tous les éléments fantastiques dans l’œuvre, les éléments inexplicables qui projettent le texte au-delà de la compréhension rationnelle. L’EARM aurait également la capacité à analyser et à traiter les ambigüités, les mondes réels et fictifs qui fusionnent dans le texte, les mises en parallèle, les comparaisons et les contrastes au niveau du vocabulaire et de la distribution des paragraphes.

Bref, notre EARM aurait la capacité à percevoir les très nombreux facteurs qui sont entrés en jeu au moment de la production du texte de départ pour ainsi pouvoir ensuite, de concert avec un moteur de traduction automatique ou un grand modèle de langage, proposer un texte dans la langue d’arrivée qui peut produire chez la personne qui lit le même effet magique que le texte en espagnol de Cortázar, notre habile magicien des mots.

Je pense qu’on a eu assez d’« analyse du discours automatique » qui demeure, pour l’instant, dans la science-fiction. Nous, les membres des professions langagières, grâce à notre expertise, avons la capacité – et le devoir – de faire tout cela : il nous faut juste la formation adéquate pour développer notre capacité de lecture analytique; nos compétences en traduction, en révision et en postédition raisonnées.

Et maintenant, à vous de jouer!

Face à des textes aussi riches et ingénieux que la nouvelle Continuidad de los Parques ou même le chef-d’oeuvre littéraire Cien años de soledad, les machines trébuchent là où l’humain excelle.

Alors, je vous lance un défi : testez continuellement les limites des machines! Prenez un passage de réalisme magique, un poème ambigu ou une pièce de littérature exigeante et tentez une traduction automatique. Qu’observez-vous? Où la machine s’égare-t-elle? Comment, en tant qu’humains, comblez-vous ces lacunes?

En parlant de vos expériences à votre entourage, vous contribuez à mettre en lumière ce qui fait de notre profession une véritable alchimie intellectuelle et émotionnelle. En fin de compte, l’idée d’un EARM relève presque du paradoxe. Car si la magie des mots peut parfois se laisser effleurer par l’« intelligence » artificielle, elle ne se laisse jamais totalement capturer. Certaines œuvres – et leur traduction – resteront toujours une affaire profondément humaine, où l’intuition, l’empathie et l’imaginaire n’ont pas d’équivalent algorithmique.

(À suivre…)

L’analyse du discours ou ce que les machines ne peuvent pas faire


Un projet de recherche fascinant que j’ai mené tout récemment – et dont les résultats paraîtront bientôt – m’a ramené de beaux souvenirs de mon temps passé à l’Université d’Ottawa, au 1er cycle comme aux cycles supérieurs : au bac, les nombreuses heures passées à déguster le manuel d’initiation à la traduction anglais-français La traduction raisonnée, de Jean Delisle. À la maîtrise et au doctorat, les rendez-vous hebdomadaires pour les séminaires de théorie de la traduction, dont celui intitulé Discours et traduction.

       Dans ce dernier, nous traitions souvent d’analyse du discours et de l’intérêt de cette dernière dans la théorisation et la pratique de la traduction. En fait, il s’agit du même sujet ayant intéressé Jean Delisle lors de ses travaux de doctorat (« L’analyse du discours comme méthode de traduction »), lesquels ont donné lieu plus tard à la 1re édition de La traduction raisonnée. Aujourd’hui, une douzaine d’années après la publication de la 3e et dernière édition, le manuel est digne d’une relecture à l’ère de la traduction automatique neuronale (TAN) et de l’intelligence artificielle (IA) afin de mettre en perspective la notion de « traduction raisonnée » (Zapata, à paraître).

         Les machines peuvent-elles raisonner, c’est-à-dire analyser le discours en vue de bien traduire? Le titre de ce billet révèle la réponse : pas tout à fait! Du moins, il s’agit là de la réponse la plus franche… ici et maintenant.

 

           À mes collègues passionnés des mots, des langues, de l’art de traduire et des technologies langagières, je vous offre dans ce billet un aperçu de l’analyse du discours. En cette ère de traductique, de TAN et d’IA, où l’on parle souvent et surtout de la possibilité ou de l’impossibilité de remplacer les membres des professions langagières par des machines, il me semble pertinent et essentiel d’exposer ce concept. L’analyse du discours appliquée à la traduction est particulièrement utile lorsqu’il s’agit de textes complexes qui nécessitent une compréhension nuancée. En examinant le discours qui entoure le texte, les artistes de la traduction peuvent repérer les stratégies rhétoriques, les références culturelles et les grands thèmes essentiels à l’interprétation du texte original et à l’objectivation de la traduction.

 

 

Le discours et son analyse : que disent les experts?

Entre autres, la définition de discours que nous donne Antidote 11 est la suivante :

  • LINGUISTIQUE – Ensemble des énoncés, des phrases enchaînées qui forment un message.

          Des théoriciens comme Phillips et Hardy développent davantage le concept dans leur ouvrage Discourse Analysis paru en 2004. Ce que l’on retient de leur exposé est que les discours sont matérialisés et mis en œuvre dans une variété de textes aux formes diverses (langue écrite ou parlée, images, symboles, artefacts, etc.). Selon ces auteurs, les textes ne revêtent aucun sens lorsque considérés isolément : le sens émerge plutôt de leur interrelation avec d’autres textes, des différents discours sur lesquels ils reposent et de la nature et l’espace-temps de leur production, de leur diffusion et de leur consommation. Ainsi, l’analyse du discours consiste à explorer la manière dont ces processus font émerger le sens des textes et comment cette production de sens contribue à construire la réalité sociale. L’analyse du discours s’intéresse donc aux effets constructifs du discours à travers l’étude structurée et systématique des textes.


Bref, parler de discours c’est aller au-delà de la notion de texte. Faire l’analyse de discours, c’est regarder au-delà de la surface d’un texte : une tâche difficile à automatiser.

Rien de mieux pour comprendre des trucs complexes que des exemples simples


Laissez-moi illustrer la notion de l’analyse du discours avec deux exemples :

 

  1. « …[w]e have never been just a collection of blue states and red states… »
  2. — Il fait chaud, n’est-ce pas?
    — Mets-en!

          La phrase de l’exemple no 1, énoncée isolément, ne veut rien dire si l’on ne connait pas l’espace-temps (le ici et le maintenant) de son énonciation. Qui est « we »? De quelle « collection of states » parle-t-on? Et c’est quoi cette histoire des couleurs bleu et rouge? Ce n’est qu’au moment d’apprendre que la phrase a été prononcée par Barack Obama à Chicago en novembre 2008, que l’on peut « aller au-delà » de la surface de l’énoncé et comprendre chacun des éléments (à savoir, que « we » c’est le président élu et le peuple étasuniens à ce moment-là, que la « collection » dont il parle ce sont les États-Unis, et que les couleurs bleu et rouge font référence aux principaux partis politiques au pays : démocrate et républicain).  

            Quant à l’exemple no 2, si je vous dis que cette mini-conversation a eu lieu dans un arrêt d’autobus en banlieue de Québec au mois de janvier, comprend-on la même chose que si l’on la regarde isolément? En fait, on saurait qu’il fait plutôt très froid, que les interlocuteurs parlent d’un ton sarcastique et qu’ils sont probablement mécontents de l’hiver.

 

Ce n’est pas évident pour nous, encore moins pour les machines!

Or, l’analyse du discours est bien plus que cela. Elle problématise les notions de « sens » et du « vouloir dire de l’auteur », puisque ceux-ci ne sont jamais évidents. À mon sens, nous, humains, avons la capacité et les moyens de nous rapprocher le plus possible du « vouloir dire de l’auteur », même si c’est impossible d’y arriver, mais les machines ne pourront rester que dans la surface.

           Du moins pour l’instant.

           À l’heure actuelle, une machine ne pourra vraiment comprendre pourquoi Julio Cortázar (1914-1984), écrivain argentin du surréalisme et du réalisme magique, aurait conjugué (consciemment, pourrait-on dire) de façon non-conventionnelle les 52 verbes dans la nouvelle Continuidad de los parques, en plus d’avoir soigné la distribution des paragraphes et le choix des mots, pour ainsi parvenir à produire, chez la personne qui lit, l’effet magique recherché…

(À suivre…)

Happy travellers in the Sahara Desert. Photo: Julián Zapata.

Now’s the time to translate a different way!

In 2023, it’s about time we said ‘out with the keyboard’ and ‘in with the spoken word and
multimodal technologies’. Looking ahead, a repurposed translation dictation will become the
norm for the translation industry.

Lire en français

Leer en español

Typing the French surname ‘Vigneault’ requires ten keystrokes, twice for a capital ‘V’ and another eight times for the remaining letters. The more formal rendering “Monsieur Vigneault”, requires twenty keystrokes, including the space. Whereas speaking it aloud, I only need a few syllables, and specifically nine sounds: [məsjø viɳo].

For over half a century, translators have had the option of dictating rather than typing content on a computer. However, to date, practicing translators and translation schools have been suspicious about translation dictation. Most translators stick with the more “tried-and-tested” methods since they never gave dictation a minute’s thought. That said, in 2023, a plethora of translators the world over dictate their translations.

It’s now common knowledge that dictation enables translators to double or even triple productivity. It sharpens their focus on interlinguistic and intercultural aspects to deliver topnotch translations. What’s more, dictation is designed to boost your professional satisfaction and quality of life since it helps to avoid health issues caused due to desk jobs, improving wellness across the board.

Cometh the hour, cometh dictation, reborn!

I have taken inspiration from the numerous testimonials by translators who dictate and scientific works produced these past four decades. This is how I have developed interactive translation dictation (ITD) as part of my academic and entrepreneurial endeavors. Simply put, ITD reinvents translation dictation that was practiced some fifty years ago. It incorporates best-inclass interactive and multimodal technologies that are based on the Cloud. Such solutions include voice recognition applications, mobile phones and of course tablets.

Increased productivity is just the beginning

The future looks bright. The future’s translation through dictation..

 

Going forward, ITD has the potential to become one of the most efficient and user-friendly techniques for the industry as a whole. It has the added benefit of catering to innumerable language combinations with deployment anywhere and anytime, from any given device.

In the not too distant future, ITD will foster the development of cross-linguistic and crosscultural skills among foreign language learners. This will attract thousands of new students to study translation and interpretation at university level. Against this background, ITD represents the go-to solution to meet growing demand for professional translations in the
age of all things digital and an already gelocalized world.

Last but not least, ITD will help speakers of languages that are devoid of writing systems to access translated content. Not only is this vital to developing their understanding of the world, their education and their long-term future but it also serves to spotlight their literature, culture and intellect. As such, ITD can contribute to safeguarding endangered languages and shaping our planet’s linguistic diversity.

Essentially, languages are spoken. Translation requires humans to grasp and communicate interlinguistic and intercultural phenomena. It’s not simply a competition about how many keystrokes you can pull off per minute, nor how many words you can translate per day. 

Restoring the artistic status of translation: goodbye keyboard, hello AI!

iStock Photo: “The Burning Keyboard”. Standard Licence.

In my humble opinion, machine translation is not a threat to the translation profession. The same can be said for Artificial Intelligence (AI), despite its pivotal role in designing emerging ITD tools. When it comes to deciphering the subtleties of the Earth’s 7,000 or so languages with their cultural nuances, remember that humans still largely outperform machines. Pressing ahead into 2024 and beyond, ITD holds the key to a promising future. In a nutshell, it’s the most effective way to craft upscale human translations at almost the same speed as that of our thoughts.

Viajeros felices en el Desierto del Sahara. Foto: Julián Zapata

¡Llegó el momento de traducir de una manera diferente!

En el 2023, llegó el momento de decir “¡adiós!” al teclado y abrirles paso a la oralidad y la multimodalidad. En los próximos años, la traducción dictada, reinventada, se convertirá en la norma en el sector de la traducción profesional.

Read in English / Lire en français

Para digitar en un teclado la palabra Vigneault — un apellido francés —, se necesitan 10 pulsaciones: dos para la v mayúscula y ocho más para las demás letras. Si se quiere ser formal, Monsieur Vigneault: veinte pulsaciones, incluyendo el espacio.

Para pronunciarlo, se necesitan tan solo nueve sonidos: [məsjø viɳo].

Desde hace más de medio siglo, los traductores tienen la posibilidad de dictar sus textos en lugar de digitarlos en la computadora. Sin embargo, tanto los traductores en ejercicio como las escuelas de traducción ven la traducción dictada y las herramientas de dictado con desconfianza. La mayoría se aferra a los métodos tradicionales, pues no le han dado a la traducción dictada la oportunidad de demostrar lo que puede hacer. No obstante, un número significativo de traductores en el mundo entero aún dicta sus traducciones.

Para nadie es un secreto que la traducción dictada permite duplicar e incluso triplicar la productividad; permite concentrarse en la transferencia interlingüística y producir traducciones de mejor calidad. También ayuda a prevenir enfermedades y trastornos relacionados con el trabajo de oficina y a sentirse en forma, además de mejorar su satisfacción profesional y la calidad de vida.

El gran regreso de la traducción dictada de una forma diferente

Los múltiples testimonios de los traductores que dictan y los estudios científicos publicados en las últimas cuatro décadas me inspiraron y permitieron desarrollar el concepto de traducción dictada interactiva (TDI) en el marco de mis estudios académicos y emprendimientos. La TDI revive la traducción dictada como se practicaba hace medio siglo, pero integrando además lo mejor de las tecnologías interactivas, multimodales y conectadas a la nube que tenemos hoy en día, como lo son las aplicaciones de reconocimiento vocal y los dispositivos móviles y de pantalla táctil.

Aumentar la productividad es solo el comienzo

El futuro de la traducción dictada interactiva es prometedor.

 

La TDI ofrece el potencial de convertirse en una de las técnicas de trabajo más eficaces y ergonómicas en el futuro de la profesión. Ofrece la ventaja de funcionar con una amplia gama de combinaciones lingüísticas y puede usarse en todo momento y en todo lugar, ya sea desde su computadora o sus dispositivos móviles.

En el futuro próximo, la TDI estimulará la adquisición de habilidades de transferencia interlingüística en los aprendices de lenguas extranjeras y atraerá cientos de nuevos estudiantes de traducción y de interpretación a las universidades que ofrecen dichos programas. Así pues, se proyecta como una solución inevitable para responder a la demanda creciente de traducción profesional en la era digital, en este un mundo ya globalizado.

Finalmente, les permitirá a los locutores de las lenguas que no tienen ningún sistema de escritura acceder a contenidos traducidos indispensables para su comprensión del mundo, educación y desarrollo sostenible, al igual que para dar a conocer su patrimonio literario, cultural e intelectual. Es así pues que la TDI puede contribuir a la supervivencia de las lenguas en peligro de desaparición y reforzar la diversidad lingüística en nuestro planeta.

Las lenguas, en su esencia, son orales. En traducción, lo esencial es permitir la comprensión y la comunicación interlingüística e intercultural, mas no apostar carreras de pulsaciones por minuto en el teclado ni de palabras traducidas por día.

Adiós al teclado y a la automatización del arte de traducir

iStock Photo: “The Burning Keyboard”. Standard Licence.

Por mi parte, no siento que la profesión de traductor esté amenazada por la traducción automática o la inteligencia artificial (aunque esta última juega un papel importante en el desarrollo de herramientas de TDI emergentes). Cuando se trata de comprender las sutilezas de las más de 7 000 lenguas del mundo, al igual que los matices culturales, los humanos somos aún mucho, pero mucho más competentes que las máquinas. Yo veo en la TDI la verdadera esperanza: la verdadera manera de producir traducciones humanas de calidad superior y de hacerlo a una velocidad muy cercana a la de nuestro pensamiento.

Des voyageurs heureux au Sahara. Photo : Julián Zapata

Il est temps de traduire différemment!

En 2023, il est grand temps de dire « Adieu au clavier ! » et d’amorcer l’oralité et la multimodalité. Dans les années à venir, c’est la traduction dictée, reinventée, qui deviendra la norme dans le secteur de la traduction professionnelle.

Leer en español…

Read in English…

Pour taper le mot Vigneault, j’ai besoin de dix frappes au clavier : deux pour le v majuscule et huit autres pour chacune des autres lettres. Si je veux être poli, Monsieur Vigneault : vingt frappes, espace comprise.

Pour le prononcer, je n’ai besoin que de neuf sons : [məsjø viɳo].

Depuis plus d’un demi-siècle, les traducteurs ont la possibilité de dicter leurs textes plutôt que de les taper à l’ordinateur. Pourtant, la traduction dictée et les outils de dictée sont aujourd’hui perçus avec méfiance par les traducteurs en exercice et les écoles de traduction. La majorité des traducteurs s’en tient aux méthodes traditionnelles parce qu’ils n’ont pas donné à la traduction dictée l’occasion de faire ses preuves. Toutefois, un nombre non négligeable de traducteurs dans le monde entier dicte leurs traductions actuellement.

Personne n’est sans savoir que la traduction dictée permet de doubler, voire tripler, sa productivité. Elle permet de se concentrer sur le transfert interlinguistique et de produire des traductions de meilleure qualité. Elle aide également à prévenir des troubles de santé liés au travail de bureau, à se sentir en forme, et offre une satisfaction professionnelle accrue et une meilleure qualité de vie aux traducteurs.

Le grand retour de la traduction dictée, sous une nouvelle forme

Les nombreux témoignages des traducteurs dictant leurs traductions et les travaux scientifiques des quatre dernières décennies m’ont inspiré et permis de développer le concept de traduction dictée interactive (TDI) dans le cadre de mes recherches académiques et entrepreneuriales. La TDI ravive la traduction dictée comme pratiquée il y a un demi-siècle, tout en intégrant le meilleur des technologies interactives, multimodales et infonuagiques d’aujourd’hui, dont la reconnaissance vocale et les appareils mobiles et à écran tactile.

Au-delà d’une productivité accrue

L’avenir de la traduction dictée interactive est prometteur.

La TDI offre le potentiel de devenir l’une des techniques de travail les plus efficaces et ergonomiques dans l’avenir de la profession. Elle offre l’avantage de fonctionner avec une vaste panoplie de combinaisons de langues et peut être utilisée n’importe où et n’importe quand, à partir de votre ordinateur ou de vos appareils mobiles.

Dans l’avenir proche, la TDI stimulera aussi l’acquisition de compétences de transfert interlinguistique chez les apprenants de langues secondes et attirera des milliers de nouveaux étudiants en traduction et en interprétation vers les Grandes Écoles et les universités. Ainsi, elle se projette comme une solution incontournable pour répondre à la demande croissante de traductions professionnelles à l’ère du numérique dans ce monde déjà mondialisé.

Enfin, la TDI permettra aux locuteurs de langues qui ne possèdent aucun système d’écriture, d’accéder à du contenu traduit, indispensable pour leur compréhension du monde, leur éducation et leur développement durable, ainsi que pour faire connaître leur patrimoine littéraire, culturel et intellectuel. Elle peut ainsi contribuer à la survie des langues en danger et renforcer la diversité linguistique sur notre planète.

La langue est orale dans son essence. En traduction, il est question de compréhension et de communication interlinguistique et interculturelle, et non pas une compétition de frappes par minute au clavier ni de mots traduits par jour.

Adieu au clavier et à l’automatisation de l’art de traduire

iStock Photo: “The Burning Keyboard”. Standard Licence.

Je ne vois pas la profession de traducteur menacée par la traduction automatique ou l’intelligence artificielle (quoique cette dernière joue un rôle important dans la conception d’outils de TDI émergents). Afin de comprendre les subtilités des quelque 7 000 langues et les nuances culturelles, il est crucial de prendre conscience du fait que nous, les humains, surpassons encore, et de loin, les machines. Je vois dans la TDI le véritable espoir : la véritable façon de produire des traductions humaines de qualité supérieure, à une vitesse très proche de la vitesse de notre pensée.

 

La calidad integral, la responsabilidad social y su efecto en las organizaciones

Julián Zapata y Manuel J. Zapata*

 

Hablar de calidad integral y responsabilidad social empresarial es hablar de temas relevantes para la ergonomía organizacional y la gestión del talento humano. Son temas que no pierden vigencia en el mundo de los negocios y ocupan espacios en las más importantes revistas, periódicos y textos académicos del mundo que, de hecho, son del interés de los altos directivos y funcionarios de entidades públicas y privadas. Su interés se enmarca en la valoración del trabajo y tienen un claro propósito de generar situaciones positivas en una organización: cautivar nuevos clientes y llegar a nuevos mercados, velar por la sostenibilidad de las operaciones, brindar satisfacción a los clientes y, más importante aún, mejorar las condiciones de vida y de trabajo de las personas que conforman la organización.

Por lo anterior, durante décadas, los gerentes de las pequeñas y grandes empresas y organizaciones del mundo con visión humana, proactiva e inclusiva se han interesado cada vez más en temas relacionados con la ergonomía tanto física como cognitiva y organizacional. Es a través del estudio de la actividad de los empleados y su interacción con el sistema sociotécnico y la organización que se puede realizar una verdadera actividad preventiva y de mejoramiento de los procesos, así como velar por el bienestar individual y colectivo. Asimismo, para prevenir enfermedades y accidentes en el entorno de trabajo, es necesario que este sea sano.[i] Todo esto orienta entonces al gerente con visión de calidad integral y responsabilidad social a abordar la salud mental y física, el bienestar y la calidad como construcciones individuales y colectivas. La calidad integral y la responsabilidad social empresarial estarían pues atadas a la ergonomía teniendo el ser humano como objeto central de estudio.

 

La calidad integral en las empresas y organizaciones

Los procesos de calidad integral se han entendido a nivel corporativo como aquellos orientados a brindar satisfacción a las necesidades de los clientes y a hacer las cosas bien siempre. En la teoría y en la praxis de la calidad, encuentran las empresas una importante fuente de acciones tendientes no solo a mantener una activa participación en el mercado, sino también a mejorar estructuras de costos para ser cada vez más competitivos. Pero un proceso de calidad en el que no se tenga en cuenta al ser humano como aquella persona que vive y siente las angustias y los problemas de su trabajo está condenado al fracaso. No en vano ya se hablaba de esto hace más de tres décadas: un periódico colombiano[ii], por ejemplo, manifestó en 1990 que los esquemas tradicionales de la administración empresarial habían manejado la prioridad de la producción y el mercado mismos y que ahora las nuevas teorías les daban dicha prioridad a los clientes, al recurso humano y a los procesos. El resultado había sido desde entonces la reducción progresiva de las responsabilidades del empleado y la tendencia de la administración a tratar a los empleados no como un costo que se debía controlar sino como un activo por desarrollar. Esto es lo que se conoce hoy en día como el aprovechamiento del capital humano.

 

Definir o revisar la misión empresarial en función de la dignidad humana

Los procesos de calidad han requerido para muchas empresas la revisión de su misión y las más importantes políticas para el manejo de todos sus recursos. Y han tenido que definir también los elementos básicos que orientan y gobiernan el desarrollo del proceso, tales como los métodos, la maquinaria y el equipo, los materiales, el talento humano, las condiciones del medio ambiente y el dinero, con el fin de producir resultados satisfactorios.

Cabe destacar un elemento en particular: el que se refiere al respeto a la dignidad de las personas. Este incluye todas las acciones que, en materia de comunicación, capacitación, motivación, bienestar y desarrollo, con lugares de trabajo espaciosos, cómodos, ventilados, iluminados y con buena disposición de sus implementos de trabajo, deben ser ejecutadas con carácter permanente, al igual que la proyección que se les debe dar a la familia del trabajador y al entorno social. Las empresas han de entender el trabajo como el fundamento de la dignidad humana y la mayor fuente de autoestima, realización y satisfacción de su personal y han de luchar para que cada persona sienta orgullo por lo que hace, libre de temores para informar a sus jefes sobre sus errores y problemas en los procesos sin afectar su seguridad o su estabilidad laboral.

 

Promulgar esquemas totalmente participativos

Los esquemas de administración tradicionales basados en el cumplimiento de unos objetivos predeterminados han dejado a un lado la opinión y la participación para la toma de decisiones del personal que ejecuta las tareas, pues han estado convencidos de que los únicos que saben ejecutar el trabajo son los ingenieros y los técnicos. Hoy en día ya se tiene la convicción de que estos modelos deben cambiarse para dar paso al aporte de ideas y sugerencias por parte de todas las personas, basados en el postulado de que “quien más conoce el trabajo es quien lo realiza”.

 

No podemos imaginarnos ninguna actividad que diariamente no sea enriquecida por el conocimiento y la experiencia de quien la ejecuta.

Pero ¿cómo lograr esa participación? Este no es un asunto fácil de implementar cuando la gente no ha sido escuchada o cuando sus propios superiores se han apropiado de sus aportes sin el debido reconocimiento. Se debe iniciar un trabajo de acercamiento entre jefes y colaboradores con entrevistas periódicas que permitan hacer planes conjuntos de mejoramiento en sus relaciones y en las expectativas de cada uno frente al desarrollo del trabajo y a su propio comportamiento. Este es el terreno abonado que permite el diseño y puesta en marcha de otros aspectos, tales como los planes de sugerencias, los grupos polifuncionales para solucionar problemas específicos, los grupos primarios o naturales y los grupos autodirigidos donde cada uno se siente dueño de su proceso o trabajo. Lo más importante en este aspecto es que cada jefe debe dar respuesta rápidamente a los requerimientos del personal y no comprometerse con lo que no se pueda cumplir.

 

Adoptar un nuevo estilo de vida empresarial

Las organizaciones como las personas cambian su estilo de vida, es decir, aprenden y adoptan comportamientos y líneas de conducta que implican formas creativas para hacer las cosas dentro del enfoque humanista de la calidad. Hay un nuevo estilo de vida, ese que permite la motivación hacia el trabajo bien hecho y al desarrollo del sentido de pertenencia. Mejora las relaciones entre jefes y colaboradores, logra el trabajo en equipo y convierte a todo el personal en gerente de su propio proceso.

Este cambio debe darse fundamentalmente en los estamentos de dirección, porque es allí donde se controla el sistema. El personal tiene que percibir un cambio en la actitud de sus jefes, quienes deben asumir un nuevo estilo de liderazgo que los convierta en las personas que eliminan obstáculos, facilitan la realización del trabajo y reconocen las cosas bien hechas.

 

Velar por la calidad de vida personal

Todos los modelos de organización empresarial tienen éxito en la medida en que hayan sido adoptados como un modelo de mejoramiento personal. La teoría de la calidad integral es el ejemplo más práctico, porque todos sus fundamentos están orientados al mejoramiento de la calidad de vida empresarial, que tiene repercusión en la vida personal. La capacitación, la participación, la comunicación, el mejoramiento de las relaciones entre las personas, la adecuación de espacios amplios y seguros, el reconocimiento al trabajo bien hecho, el uso exclusivo de los recursos mínimos requeridos para desarrollar cualquier labor, es decir, trabajar sin desperdicios, al igual que unas excelentes relaciones con los clientes y proveedores. Cuando todos estos conceptos son aplicados en nuestra vida diaria, en la vida de nuestros hijos, en las relaciones con nuestros amigos, se van convirtiendo en un nuevo estilo que hace ambientes más agradables de mutuo entendimiento y de convivencia pacífica.

 

Desarrollar un sentido de responsabilidad social empresarial

El futuro de las empresas no sólo radica en la productividad, la calidad o los beneficios, sino también en su responsabilidad social. La responsabilidad social empresarial es

 

“el compromiso consciente y congruente de cumplir integralmente con la finalidad de la empresa, tanto en lo interno como en lo externo, considerando las expectativas económicas, sociales y ambientales de todos sus participantes, demostrando respeto por la gente, los valores éticos, la comunidad y el medio ambiente, contribuyendo así a la construcción del bien común”[iii].

La responsabilidad social es una “parte fundamental de la naturaleza del ser”[iv]. Implica participación, compromiso y cooperación; y requiere del respeto por los derechos humanos. También refuerza la imagen institucional de una empresa, al legitimar su función social y sus valores. Es así como la responsabilidad social puede repercutir positivamente en sus servicios y productos, creando un valor añadido para sus clientes, reforzando su capacidad competitiva y captando a nuevos clientes y colaboradores[v]. Esto implica un beneficio permanente en forma cíclica pues cada acción a favor de la sociedad repercute positivamente en la empresa y favorece su crecimiento.

 

En definitiva: el efecto en la organización

Tanto la calidad integral como la responsabilidad social empresarial requieren de parte de los directivos la creación de entornos de trabajo que involucren a los empleados como recursos clave, y que desarrollen y hagan cumplir políticas de recursos humanos que conduzcan a la implementación de condiciones adecuadas en el lugar de trabajo.

Entendidas la calidad integral y la responsabilidad social empresarial como nuevos estilos de vida organizacional, que transforman las relaciones entre personas que laboran en la empresa y con el entorno, podremos garantizar la fácil implantación de todos los demás aspectos necesarios para la satisfacción de las necesidades del cliente. Se pasa de un ambiente de confrontación a uno de mutua cooperación en el que la autoridad no se determina en la imposición de una orden, sino en el grado de participación y motivación del personal que se dirige; en el que el trabajo bien hecho desde la primera vez es garantía de satisfacción y relación entre el proceso anterior y el siguiente. Una empresa en la que la motivación está dada por las posibilidades de actuar y aportar. Cuando todo esto se logra, los clientes externos perciben ese cambio a través de mejores servicios, precios más bajos y una excelente calidad en los productos. Esto es lo que garantiza la permanencia de las empresas en el mercado. Así lo han demostrado todas las pequeñas y grandes empresas del mundo que lo han intentado y de verdad lo han logrado con mucho éxito.

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*Agradecimiento

Agradezco la colaboración de mi padre para la redacción del presente artículo. Manuel J. Zapata se desempeñó como gerente administrativo y consultor en gerencia empresarial durante casi cuatro décadas, impartiendo decenas de seminarios sobre Calidad Integral en grandes, medianas y pequeñas empresas en Colombia. También trabajó como profesor de cátedra en el Politécnico Colombiano “Jaime Isaza Cadavid” de 1982 a 1988, impartiendo cursos de Fundamentos de Tecnología Industrial, Seguridad Industrial y Contabilidad Financiera. Hoy en día disfruta de su retiro y jubilación.

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[i] Carrasquero, E. y C. Seijo (2009). “La ergonomía organizacional y la responsabilidad social inclusiva y preactiva: Un compromiso dentro de los objetivos de la organización”. En Clío América. Año 3, No. 6, pp. 183-192.

[ii] Periódico El Tiempo, en su separata especial, con motivo de la entrega del Premio Nacional de la Calidad en Colombia en el año 1990.

[iii] Cajica, Felipe (2018). “La Responsabilidad Social de la Empresa.” En línea.

[iv] Carrasquero y Seijo (2009).

[v] Ibid.

 

Être traducteur, ça se fête!

Un 30 septembre, il y a douze ans déjà, j’étais assis dans une salle de classe à l’ISIT de Paris à l’attente de mon premier cours d’histoire de la traduction. Le professeur avait choisi délibérément de commencer son cours à la fête de saint Jérôme, patron des traducteurs. Un choix averti du professeur. Ayant signé la Vulgate, saint Jérôme est sans doute l’un des personnages principaux de l’histoire de la traduction. Et c’est le jour où l’on célèbre l’anniversaire de sa mort, en 420 à Bethléem, que nous, les langagiers du monde entier, célébrons la journée mondiale de la traduction.

Nous fêtons l’un des métiers les plus anciens du monde. Regarder dans l’histoire de la traduction c’est regarder aussi loin que le développement de la capacité humaine à communiquer. Nous avons déjà de quoi être fiers.

Nous fêtons aussi l’un des métiers le plus influents de l’histoire. Je veux dire, l’histoire de l’humanité est telle qu’elle est, parce qu’il y a eu traduction. Nous aurions tort de nier l’omniprésence de la traduction dans la constitution du monde, mais la plupart du temps, nous n’y réfléchissons pas assez. Comment les évènements de l’histoire se seraient-ils déroulés sans traducteurs?

En cette ère de l’intelligence artificielle et de la mondialité, pourtant, nous devons faire face à des défis sans précédent dans l’histoire de la traduction. Nous devons réinventer notre profession. « And reinventing the profession is extremely hard if your days are spent just getting the jobs done and trying to make a modest living » (Van der Meer, 2011). Déjà en 2003, Michael Cronin écrivait :

So why are translators not the eagles of the professional aviary in the new economy? (…)The difficulties of professionalization and the invisibility of translators and their work are, of course, recurrent issues in the history of translation but why are things so slow to improve? 

Nous fêtons avec fierté, le 30 septembre, la profession responsable de la communication efficace entre plus de sept milliards de personnes. Une grande responsabilité, oui. Pourtant, au moment crucial de l’histoire où nous sommes, nous avons une responsabilité encore plus importante envers notre profession. 

Pour arriver à combler les besoins de traduction — toujours en pleine croissance — et à modeler l’avenir de notre espèce, il faudra se réinventer. Il faudra concilier les différentes dimensions de la traduction : didactique, théorie et pratique. Il faudra des recherches plus approfondies et plus de collaborations interdisciplinaires. Il faudra des outils technologiques plus performants et mieux adaptés à la réalité du marché au XXIe siècle.

Être traducteur, ça se fête. Et plus important encore, ça se revendique.

Bonne Journée mondiale de la traduction!

 

Along Came Dictation
An interview with Donald Barabé, president of the Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ).
Lire en français :Et la dictée fut

For millennia, humans have used tools to build fires, hunt prey, gather food, build shelter, write, and communicate. As for translation, historians maintain that written translation would have appeared in conjunction with the creation of alphabets, writing systems and writing tools. Throughout history, language professionals have adopted many tools in response to the constant scientific and technological advances, from stone-engraving tools to typewriters to personal computers—which have become the norm for professional translators.

 

 

“In a situation where the demand is greater than the supply, translators and their employers would greatly benefit from dictation.” – D. Barabé

But for half a century now, translators have had the option to dictate their work instead of type it. However, translation dictation (TD) and dictation tools, which were rather common in the 1960s and 1970s, are mostly unknown to translators, translation schools, and translation agencies today. The vast majority of translators cling to the current methods of typed translation and computer-aided translation (CAT) tools because they have not tried TD. Still, a substantial number of translators around the world dictate their translations using a voice recorder, a human transcriptionist, or voice recognition software, with automatic transcription capabilities. 

 

“With translation dictation, the sky is the limit.” 
– D. Barabé

Over the years, I have had the opportunity to meet a handful of translators in Canada and around the world who dictated for decades, and some who still do. One of these translators who dictated his translations long before the arrival of personal computers is Donald Barabé, current president of the Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ) and former Vice-President of Professional Services at the Government of Canada’s Translation Bureau. 

 

I interviewed Mr. Barabé to learn more about this translation technique, which has been at the heart of my translation studies research, my professional practice and my startup’s R&D. Like everyone else in that handful of translators I’ve encountered over the years, Mr. Barabé talks about the TD era with a reminiscent smile. 

Julian Zapata: Thank you, Mr. Barabé, for agreeing to this interview.

Donald Barabé: My pleasure, especially if it helps bring dictation back!

JZ: How were you first introduced to translation dictation?

DB: I began dictating immediately after finishing university, in the late 70’s. I was hired by the Translation Bureau and they gave me a desk with a typewriter and a voice recorder. Word processing machines were reserved for transcriptionists at that time. My supervisor made sure I understood that the typewriter was only for short texts, very short texts (50 words or fewer). He spent a few minutes to show me how to use the voice recorder and then told me to dive right in. The transcriptionists gave me a few tips, like how to translate tables in texts. Since everyone else used dictation, I did too. Dictation had actually been the default method of translation for years there, especially for in-house translators.

JZ: Had you been taught how to dictate in university?

DB: It wasn’t part of the curriculum. I don’t think there were any classes on translation dictation in Canada for that matter. Of course, there were a few sight-translation exercises in the translation or interpretation classes but that’s not an all-important a prerequisite for dictation. I also don’t think you need several years of experience in written translation to begin dictating. It’s a skill you acquire through practice. All you need are good translation skills.

JZ: Do you think that it’s possible to dictate any genre of text in any language combination, no matter how challenging the text or language?

DB: My native language is French, and I mostly translated from English into French. But I don’t think it would be impossible or more difficult to dictate in any particular language combination. If you can translate on paper, you can translate by voice. Granted, if you have a very strong accent in your second or third language, then the transcriptionist or voice recognition software might have trouble understanding you. I also don’t believe that certain texts would be harder to dictate than others with regards to the subject and terminology. Formatting is a different matter, though. Back in the day, if you were translating a text with a table, let’s say, you had to number every part of it and then dictate the translation. The transcriptionist would recreate the table and then fill it in according to your dictation. Seeing as I have little experience with voice recognition software, I can’t say whether it is easy to use or not when you have a document with complex formatting.

JZ: Do you think the arrival of personal computers in the 1980s is the primary reason for the decline of translation dictation?

DB: Obviously, employers in every field, not only in translation, saw the advent of the personal computer as an opportunity to save money by letting some secretaries, assistants, and transcriptionists go. In my opinion, that was a mistake because employers gave their tasks to other employees—ones who were not experts in that field. This meant that these employees and professionals had to spend time working on the page layout and text formatting, and so were not doing what they were specifically hired to do.

In a situation where the demand is greater than the supply, translators and their employers would greatly benefit from dictation. In fact, in professional translation, we are very interested in delegating all tasks except the two that belong to a language professional: linguistic transfer and quality control. All other tasks, such as documentation, terminology research, page layouts and text formatting should be given to a language professional assistant, also known as a paralinguist. Any time a professional translator spends on these other tasks is time they don’t spend on their primary function, the task that only they can do, which is to translate, thus reducing their productivity.

JZ: Do you think that some of those who dictated never learned to use a typewriter or computer?

DB: I think every translator knows how to use a computer, even those who continue to dictate. And those people do exist. They never experienced that productivity setback.

JZ: How much more productive is dictation?

DB: There are a few factors in play here. It might seem paradoxical, but computers made page layout and formatting both easier and harder. Easier because they can be done by anyone, not just typographers. Harder because they bring all these separate elements (text, tables, graphs, images, animations, etc.) together into one document and not everyone can do that efficiently. Just think of PowerPoint presentations. While a professional translator might develop a certain familiarity within word processing software, the fact remains that when he or she “manipulates” the text and its format, they are not translating. This affects their translation performance and profitability. Even with typing skills, typing a text will always take longer than dictating it.

JZ: What advice would you give for cases where pre-translations are provided, which is happening more and more often?

DB: It is probably more efficient and faster to dictate a sentence than to postedit it.

JZ: In your opinion, is profitability the main advantage of dictation?

DB: Profitability is certainly one advantage, but it’s not the only one. Ergonomics is also important. Few translators find working on a computer to be comfy because they have to hold their arms and wrists in unnatural positions, causing work-place injuries. Dictation can be done while standing, or even while walking.

Another advantage would for sure be the improved quality of the translation. Dictation allows you to hear the phrase and listen for idiomaticity. It also provides for a break, even if only of a few moments with voice recognition software, between speaking and then reading your translation, which lets you see the translation with fresh eyes. In fact, I would say that dictation offers nothing but advantages because with today’s voice recognition technology, there is no cost for the transcription and the wait time for a transcription from a third-party is shorter.

JZ: Even if voice recognition still makes a few mistakes?

DB: Transcriptionists also make mistakes. As do translators. The real challenge is dictating in an open concept office space or in a cubicle.

JZ: About that, the technology’s accuracy has improved significantly. It can filter out ambient noise or pick up soft—almost whisper quiet—speech.

DB: If that’s the case, that is an amazing improvement. Sometimes transcriptionists made mistakes because they didn’t understand what was said or were unfamiliar with certain words.

JZ: Do you think those who dictate their translations could work as interpreters, given their ability to sight-translate?

DB: I’m not sure if we can equate translation dictation with sight translation, which is done “on the fly.” However, in translation dictation, the translator forms each sentence in their head and then dictates it. Typing translators can work the same way or they can jump right in and adjust their phrase as necessary. That method is less efficient and therefore, less profitable. But back to the question, translation dictation could, up to a certain point, be like consecutive interpretation, but I doubt it is anything like simultaneous interpretation.

JZ: Have those who dictate adapted well to the new dictation tools as they’ve evolved?

DB: I would say that those who used transcriptionists adapted very well to using voice recorders. For those who tried voice recognition software, I think the results vary. Some people took to it easily, others, not so much. As I said, this technology has evolved a lot of the last few years. I think all translators would do well to try it out now.

JZ: And what about looking up information on the web?

DB: I think voice recognition will grow into the preferred method of interaction. Just look at how popular personal assistants like Alexa are becoming.

JZ: Are there any fatigue factors inherent to translation dictation? Can a person dictate for 7 or 8 hours per day like you would with a traditional computer and keyboard?

DB: Dictation is for everyone, although it would be more difficult for those who struggle with a speech impairment. Keep in mind that you need considerably less time to dictate a translation that you need to type it. In my experience, I would even say that dictation is less physically and mentally taxing.

 

JZ: What barriers to entry do you see for translation dictation in this era of translation technologies, postediting and artificial intelligence?

DB: I believe that with the ubiquity of mobile devices and the advances in voice recognition and cloud computing technologies, we will see interactive translation dictation increasingly adopted by large translation companies and freelancers. I’ve said it before and I’ll say it again, with dictation, the sky’s the limit. 

“[Voice recognition] technology has evolved a lot of the last few years. I think all translators would do well to try it out now.”
– D. Barabé

Translated from French by S. Gorbahn

 

Taper, c’est gaspiller ou comment appliquer la pensée lean au processus traductionnel

Read in English: Lean-thinking the translation process…

Pas de surprise, l’image et le titre vous donnent déjà une bonne idée du contenu de cet article. J’invite néanmoins les lecteurs intrigués à m’accompagner afin d’étoffer cette réflexion.

L’une des stratégies d’affaires que l’on enseigne actuellement aux dirigeants et aux entrepreneurs de tous les secteurs, c’est d’adopter la pensée lean. Véritable philosophie, elle vise à créer « des processus qui permettent de fabriquer des produits et d’offrir des services en réduisant les efforts humains, le capital, l’espace et le temps requis, ainsi qu’en diminuant fortement les coûts et les défauts par rapport aux systèmes de gestion traditionnels » (lean.org ).

Lean, c’est une nouvelle façon d’organiser les activités humaines qui offre plus d’avantages au niveau social et ajoute de la valeur à l’échelle individuelle. Cette pensée vise à réduire, ou encore mieux, à éliminer le gaspillage, soit toute activité ou étape d’un processus qui n’ajoute pas de valeur. Par exemple, en éliminant les éléments de gaspillage de la chaîne de production, les employés peuvent alors concentrer leurs efforts et donner du temps pour un travail de qualité.

Les enseignements des maîtres sensei

La philosophie lean est inspirée de l’industrie automobile japonaise. Dans les années 1950, des sensei de la pensée lean ont remis en question les méthodes des gestionnaires de production chez Toyota en ciblant les aspects suivants.

 

  • Le lieu de travail : observer les conditions et les flux de travail actuels. C’est à la fois une marque de respect pour les employés et une occasion d’ajouter de la valeur en mettant en œuvre leurs idées et leurs initiatives plutôt que de s’efforcer de créer de la valeur en exigeant du travail.
  • Satisfaction de la clientèle et des employés : comprendre qu’elle fait partie intégrante de toutes les étapes du processus.
  • « Kaizen » : on traduit généralement ce terme japonais par « amélioration continue ». Cette quête de la perfection consiste à s’engager à améliorer les processus une étape à la fois, en y allant par tranches de 1 % plutôt que par un grand bond de 100 %. 

Éliminer tout ce qui n’ajoute pas de valeur

La méthode lean repose, entre autres, sur le principe d’« élimination du gaspillage ». À l’échelle d’une entreprise, la démarche consiste donc à comprendre les processus et à supprimer tous les obstacles qui ralentissent ou entravent les flux de travail.

Le secteur de la traduction cherche depuis longtemps à éliminer le gaspillage par divers moyens. En effet, à l’origine des premiers systèmes de mémoires de traduction apparus il y a une trentaine d’années, on retrouve la philosophie des trois R : « réduire, réutiliser et recycler ». Depuis, d’immenses progrès ont mené à la création d’applications et d’extensions conçues pour augmenter la productivité et réduire le temps et les efforts requis des traducteurs humains pour réaliser différentes tâches.

 

Pourtant, à ce jour, on avait négligé un aspect du processus traductionnel considéré dans son ensemble : l’usage du clavier traditionnel (mécanique) comme seul et unique dispositif d’entrée de texte. Je n’ai pas incendié de clavier pour illustrer cet article; d’autres l’avaient déjà fait pour moi. Cependant, je suis l’un des rares chercheurs en traductologie qui étudient l’usage de l’interface clavier-souris par les traducteurs humains. Au-delà de la traduction, des centaines de chercheurs et de penseurs ont fait la preuve que l’environnement informatique traditionnel représente un obstacle majeur au rendement cognitif, à la créativité et à la productivité. C’est particulièrement le cas des tâches de communication en langage naturel.

 

J’ai personnellement observé que près de 10 % de l’activité de frappe des traducteurs consiste à enfoncer la barre d’espacement et qu’entre 15 et 35 % des frappes visent à supprimer des caractères, à corriger des coquilles et à déplacer le curseur à l’aide des touches fléchées. Une pratique de gaspillage en grand besoin d’une solution lean. J’ai également observé que les traducteurs tapent de 3 à 7 fois plus lentement qu’ils ne disent ou lisent un texte à voix haute avec un débit naturel. D’ailleurs, le français remporte la palme de la langue la moins adaptée au clavier de toutes les langues analysées dans mes recherches à ce jour!

La traduction dictée interactive : une solution efficace disponible très bientôt!

Pour éliminer le gaspillage et ajouter de la valeur en traduction humaine, InTr Technologies applique la pensée lean à la traduction en adoptant la voix humaine comme principal mode d’entrée des traducteurs humains. En plus des autres applications de traitement du langage naturel qui, depuis des décennies, font avancer le secteur de la traduction et améliorent la productivité des traducteurs, les applications de reconnaissance vocale offrent actuellement une solution robuste et particulièrement attrayante pour la traduction. La parole est probablement notre outil de communication le plus ancien et demeure notre mode de communication le plus naturel.

Récemment, j’ai lu cette citation qui m’a fait réfléchir et qui suscitera sans doute une réflexion chez les traducteurs, les gestionnaires de projets et autres acteurs du secteur de la traduction :

 

« Au 21e siècle, une personne analphabète ne sera plus celle qui ne sait pas lire ni écrire, mais plutôt celle ne sachant pas apprendre, désapprendre et réapprendre » — Alvin Toffler

Intégrer efficacement la reconnaissance vocale au processus traductionnel suppose nécessairement de désapprendre à taper, d’apprendre à utiliser de façon efficace les applications activées par la voix et de réapprendre à dicter ses traductions, comme le faisaient de nombreux traducteurs avant l’ère informatique.

Il est grand temps de se départir du clavier mécanique et d’adopter la pensée lean appliquée à la traduction. Il est grand temps d’éliminer les éléments de gaspillage qui n’ajoutent pas de valeur au processus traductionnel afin de mieux outiller les traducteurs humains grâce à la traduction dictée interactive. Vous pouvez l’essayer dès aujourd’hui! Communiquez avec nous pour savoir comment…

 

Traduction de Gabrielle Garneau

 

Et la dictée fut

Entretien avec Donald Barabé, président de l’Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ)

Read in English: Along Came Dictation

Depuis des millénaires, les êtres humains se servent d’outils, entre autres pour allumer du feu, pour chasser, pour se nourrir, pour bâtir, pour écrire et pour communiquer. En traduction, les historiens affirment que la traduction écrite aurait vu le jour parallèlement à la parution des alphabets, ainsi que des systèmes et des outils d’écriture. Au cours de l’histoire, les langagiers ont adopté divers outils au gré des avancées constantes dans les sciences et les technologies : depuis les outils de gravure jusqu’aux machines à écrire et ordinateurs personnels, ces derniers constituant aujourd’hui l’outil de travail par défaut des traducteurs professionnels.

 

« En traduction, où l’offre professionnelle ne suffit pas à la demande, les traducteurs et leurs employeurs auraient tout intérêt à utiliser la dictée. » – D. Barabé

Or, depuis plus d’un demi-siècle, les traducteurs ont la possibilité de dicter leurs textes plutôt que de les taper. Pourtant, la traduction dictée (TD) et les outils de dictée, très courants dans le milieu de la traduction des années 1960 et 1970, sont souvent vus aujourd’hui avec méfiance par les traducteurs en exercice et par les écoles et les services de traduction. La grande majorité des traducteurs s’en tient aux méthodes courantes, à savoir la traduction saisie à l’ordinateur et à l’aide d’outils d’aide à la traduction, parce qu’ils n’ont pas jugé bon de faire l’essai de la TD. Toutefois, un nombre non négligeable de traducteurs dans le monde entier dictent leurs traductions, soit au dictaphone, en collaboration avec un copiste qui transcrit la traduction dictée enregistrée, soit à l’aide d’un logiciel de reconnaissance vocale prenant en charge la transcription de façon automatique.

« Avec la dictée, on a tout à gagner. » – D. Barabé

J’ai eu la chance de rencontrer plusieurs traducteurs au Canada, comme à l’étranger, qui ont dicté pendant des décennies, ou qui dictent encore. On les connait dans le milieu, en français, sous le nom de « dicteurs ». L’un de ces dicteurs qui a bien connu la profession de traducteur avant l’ère des ordinateurs personnels est Donald Barabé, actuel président de l’Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec (OTTIAQ) et ancien vice-président, Services professionnels, du Bureau de la traduction du gouvernement du Canada. 

J’ai pu m’entretenir avec M. Barabé afin d’en apprendre davantage sur cette technique, qui constitue depuis plusieurs années le cœur de ma recherche traductologique et de ma pratique professionnelle, ainsi que des activités de R et D de mon entreprise. M. Barabé, comme tout autre dicteur contemporain que j’ai rencontré au fil des ans, semble heureux d’avoir connu l’ère de la TD.

Julian Zapata : Merci, M. Barabé, de m’accorder cet entretien.

Donald Barabé : C’est un plaisir, surtout s’il s’agit de ressusciter la traduction dictée!

JZ : Comment vous êtes-vous initié à la dictée ?

DB : J’ai commencé à dicter tout de suite après mes études universitaires vers la fin des années 1970. Mon employeur, le Bureau de la traduction, m’a assigné un poste de travail où se trouvaient une machine à écrire – les machines de traitement de textes étaient réservées aux copistes à l’époque – et un dictaphone. Mon superviseur m’a bien fait comprendre que la machine à écrire ne devait servir qu’aux textes courts, très courts (moins de 50 mots). Il a pris quelques minutes pour me montrer le fonctionnement du dictaphone et m’a dit de me lancer. Les copistes m’ont aussi donné des trucs, par exemple pour la traduction de tableaux. Comme tout le monde dictait déjà, je me suis mis moi aussi à dicter. En fait, la dictée était déjà la méthode de traduction par défaut dans le milieu depuis des années, surtout dans le cas des salariés.

JZ : Aviez-vous été formé à faire de la dictée à l’université ?

DB : Cela ne faisait pas partie du cursus. D’ailleurs, je ne pense pas qu’il y ait eu des cours de traduction dictée au Canada. Il y a bien eu quelques exercices de traduction à vue dans les cours de traduction ou d’interprétation, bien que cela ne soit pas un préalable essentiel à la dictée. Je ne pense pas non plus qu’il faille posséder plusieurs années d’expérience en traduction écrite pour se mettre à dicter. C’est une compétence que l’on peut acquérir soi-même par la pratique. Il suffit de savoir traduire, tout simplement.

JZ : Pensez-vous que la dictée est possible dans toutes les combinaisons de langues et pour traduire tout genre de textes, peu importe le niveau de difficulté de ces derniers ?

DB : Ma langue maternelle est le français, et j’ai surtout traduit de l’anglais vers le français. Mais je ne pense pas qu’il soit impossible ou plus difficile de dicter dans une combinaison de langues en particulier. Si on peut traduire par écrit, on peut le faire oralement. Naturellement, si votre accent en langue B ou C est trop prononcé, il se peut que le copiste ou le logiciel de reconnaissance vocale ait de la difficulté à vous comprendre. Je ne crois pas non plus qu’il y ait des textes plus difficiles à dicter pour ce qui est du sujet et de la terminologie. C’est une autre histoire pour le formatage. À l’époque, si on traduisait un texte avec un tableau, par exemple, il fallait numéroter chacun de ses éléments et en dicter la traduction. Le copiste reproduisait le tableau original et y insérait les éléments dictés. Ayant peu d’expérience de la dictée par reconnaissance vocale, je ne saurais me prononcer sur sa facilité d’utilisation – ou non – pour les textes à mise en page complexe.

JZ : Pensez-vous que la raison principale du recul de la TD a été l’arrivée massive des ordinateurs personnels dans les années 1980 ?

DB : Il est clair que les employeurs dans tous les domaines d’activité et pas seulement en traduction ont vu en l’avènement de l’ordinateur personnel l’occasion de faire l’économie du salaire des secrétaires, assistants, adjoints et copistes. À mes yeux, cela a été une erreur, car ils ont confié à leurs autres employés, souvent des professionnels, des tâches pour lesquelles ils ne possèdent pas d’expertise, perdant ainsi de vue que le temps que ces employés et professionnels passent à la mise en page et au formatage des textes, ils ne le consacrent pas à leurs fonctions principales, celles pour lesquelles ils ont précisément été engagés.

En traduction, où l’offre professionnelle ne suffit pas à la demande, les traducteurs et leurs employeurs auraient tout intérêt à utiliser la dictée. En fait, en traduction professionnelle, nous aurions grand intérêt à déléguer toutes les fonctions sauf les deux qui sont l’exclusivité des professionnels : le transfert linguistique et son contrôle. Toutes les autres fonctions, à savoir les recherches documentaires, les recherches terminologiques, la mise en page et le formatage, devraient être confiées à un paralangagier. Le temps passé par un traducteur professionnel à ces autres fonctions est du temps qu’il ne consacre pas à sa responsabilité première – la traduction – dont il est le seul à posséder l’expertise. Cela nuit grandement à sa productivité.

JZ : Pensez-vous que certains dicteurs n’ont jamais appris à saisir à la machine ou à l’ordinateur ?

DB : Je crois que tous les traducteurs savent utiliser un ordinateur, même ceux qui n’ont pas cessé de dicter. Et il y en a. Ceux-là n’ont jamais fait de pas en arrière pour ce qui est du rendement.

JZ : On parle d’une productivité supérieure de quel ordre par rapport à celle des traducteurs qui ont passé à la traduction saisie à l’ordinateur ?

DB : Certains facteurs entrent en jeu. Cela peut sembler paradoxal à première vue, mais l’ordinateur a rendu la mise en page et le formatage à la fois plus simples et plus complexes. Plus simples parce qu’ils ne sont plus l’apanage des typographes et qu’ils peuvent être faits par tous. Plus complexes parce qu’ils permettent de réunir dans un même document plusieurs éléments disparates (texte, tableaux, graphiques, images, animations, etc.), ce qu’il n’est pas donné à tous de réaliser efficacement. On n’a qu’à penser aux présentations PowerPoint. Bien qu’un traducteur professionnel puisse développer une certaine aisance dans le maniement des logiciels de traitement de textes, il n’en demeure pas moins que, lorsqu’il « manipule » les textes et leur format, il ne traduit pas. Son rendement traductionnel et sa rentabilité s’en trouvent affectés. Sans compter que, même avec le doigté dactylographique, taper un texte sera toujours plus long que de le dicter.

JZ : Que conseillez-vous lorsque des prétraductions sont fournies, ce qui est de plus en plus le cas ?

DB : Il peut être plus efficace et plus rapide de dicter le tout que de remanier le texte soi-même.

JZ : Selon vous, la rentabilité est-elle le principal avantage de la dictée ?

DB : La rentabilité est certes un avantage, mais ce n’est pas le seul. L’ergonomie est également importante. Rares sont les traducteurs qui maîtrisent le doigté dactylographique, ce qui les oblige à faire toutes sortes de contorsions pouvant entrainer des lésions professionnelles. Sans parler de la lenteur que cela cause et qui affecte la rentabilité. La dictée peut se faire debout, en marchant même.

Un autre avantage important est sans doute l’amélioration de la qualité. En effet, la dictée permet d’entendre la phrase prononcée et d’en évaluer l’idiotisme. Elle procure également un recul, ne serait-ce que de quelques instants avec la reconnaissance vocale, qui donne l’occasion de voir la traduction d’un œil neuf. En fait, j’oserais dire que la dictée n’a que des avantages, d’autant plus que, avec la reconnaissance vocale d’aujourd’hui, on économise le coût de la transcription et on réduit le délai de la transcription par un tiers.

JZ : Même si la reconnaissance vocale fait encore quelques erreurs ?

DB : Les copistes humains font eux aussi des erreurs. Il en va de même des traducteurs. Le défi est de dicter dans des bureaux à aire ouverte ou dans des cubicules.

JZ : En reconnaissance vocale, on a fait des bonds importants en précision dans des milieux ayant des bruits ambiants ou pour permettre de parler assez doucement au système, presque en chuchotant.

DB : Si tel est le cas, cela représente un bond spectaculaire. Il ne faut pas perdre de vue que les copistes transcrivaient parfois mal parce qu’ils ne comprenaient pas ce qui avait été dit ou qu’ils méconnaissaient certains mots.

JZ : Pensez-vous que les dicteurs, en raison de leur capacité à traduire à vue, peuvent aussi exercer le métier d’interprètes ?

DB : Je ne suis pas certain qu’on puisse associer traduction dictée et traduction à vue. Cette dernière est faite « à la volée », ce qui n’est généralement pas le cas de la première. Le dicteur compose chaque phrase dans sa tête, puis la dicte. Le traducteur qui tape ses traductions peut faire de même. Il peut aussi se lancer directement et ajuster sa phrase une ou plusieurs fois. Il y perdra en efficacité, donc en rentabilité. Pour revenir à la question, la traduction dictée peut jusqu’à un certain point aider à l’interprétation consécutive, mais je doute qu’il en soit de même pour la simultanée.

JZ : Les dicteurs se sont-ils bien adaptés aux évolutions des appareils de dictée au fil du temps ?

DB : Je dirais que les dicteurs qui recourent à la transcription humaine se sont fort bien adaptés à l’évolution du dictaphone. En ce qui concerne ceux qui ont fait l’essai de la reconnaissance vocale, cela varie. Certains s’y sont très bien adaptés, d’autres moins. Comme je l’ai mentionné, cette technologie a beaucoup évolué ces dernières années. Je crois que tous les traducteurs auraient intérêt à l’essayer aujourd’hui.

JZ : Et qu’en est-il de la recherche informationnelle?

DB : Je suis d’avis que la reconnaissance vocale deviendra de plus en plus le mode privilégié d’interaction. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à voir la popularité croissante des assistants personnels tel Alexa.

JZ : Existe-il des facteurs de fatigue inhérents à la traduction dictée? Peut-on dicter 7 ou 8 heures par jour comme on fait aujourd’hui traditionnellement avec l’ordinateur à clavier?

DB : À moins d’éprouver des difficultés d’élocution, il n’y a aucune contre-indication à la dictée. Il ne faut pas perdre de vue que le temps nécessaire pour dicter une traduction est considérablement moindre que celui requis pour traduire. J’oserais même avancer, selon mon expérience, qu’en dictée on est moins fatigué, physiquement ou mentalement, au terme de sa journée de travail.

 

JZ : Quels défis prévoyez-vous donc pour ressusciter la dictée dans cette ère de traductique, de post-édition et de traduction automatique ?

DB : Je pense que, avec l’omniprésence des appareils mobiles et en raison des grandes avancées en matière de reconnaissance vocale et en technologies infonuagiques, on peut envisager une intégration graduelle de la traduction dictée interactive dans les grands services de traduction et aussi aux postes de travail des pigistes. Comme je l’ai dit plus haut : avec la dictée, on a tout à gagner.

« [L]a reconnaisance vocale […] a beaucoup évolué ces dernières années. Je crois que tous les traducteurs auraient intérêt à l’essayer aujourd’hui. » – D. Barabé